Responsabilité des multinationales, bientôt la fin de l'impunité ?

Manifestation de salariées du textile au Bangladesh à Dacca une semaine après l'effondrement du Rana Plaza ©Sipa -  Ismail Ferdous
Manifestation de salariées du textile au Bangladesh à Dacca une semaine après l'effondrement du Rana Plaza ©Sipa - Ismail Ferdous
Manifestation de salariées du textile au Bangladesh à Dacca une semaine après l'effondrement du Rana Plaza ©Sipa - Ismail Ferdous
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L'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 a illustré la complexité des chaînes d’approvisionnement et l'impossibilité de tenir les multinationales pour responsables des agissements de leurs sous-traitants. La France pourrait devenir le premier pays du monde à combler cette faille juridique.

Vigilance. Le Robert date l'irruption de ce mot en 1530. Il était alors synonyme d'insomnie (un mot qui parle quand on se lève au petit matin :). Or cette vigilance, cette surveillance attentive, sans défaillance va devenir bientôt un devoir pour les multinationales qui opèrent en France. Vigilance vis à vis de qui? Vis à vis de leur sous traitants et de leurs fournisseurs.

Un mot de contexte avant d'aborder le fond du sujet. Je vous en parle aujourd'hui car une proposition de loi déposée il y a trois ans est en train d'aboutir, et l'élection présidentielle qui approche n'est pas étrangère à ce dénouement.

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Après deux lectures à l'assemblée, deux lectures au Sénat qui l'ont vidé de sa substance, une commission mixte paritaire infructueuse, et un passage devant la commission des lois, la proposition de loi "devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre" est examinée une nouvelle fois par l'assemblée nationale aujourd'hui. Vous retrouverez ici les liens qui rendent compte de ce parcours du combattant.

Donnée moribonde plusieurs fois, cette proposition de loi déposée par la députée écologiste Danielle Auroy et soutenue par de très nombreuses ONG (Sherpa, CCFD, Collectif sur l'étiquette etc...), a été remise à l'ordre du jour des travaux du parlement après le départ d'Emmanuel Macron du ministère de l'économie. Jusque là, c'est son cabinet qui suivait le dossier. Il a été récupéré par Michel Sapin, ministre des finances, qui l'a inscrit à l'ordre du jour du sénat à la mi-novembre.

Après avoir été réticent selon les ONGs, le gouvernement soutien donc maintenant à fond cette proposition de loi, sans doute pour pouvoir mettre à son bilan une loi marquée à gauche; une loi en en faveur des droits humains qui fait hurler dans les rangs patronaux.

Le vote final aura lieu dans les semaines qui viennent. Une fois votée, elle fera de la France le premier pays du monde à tirer les enseignements du drame du Rana Plaza, vous savez cet immeuble textile effondré au Bangladesh en 2013.

Proposition de loi Rana Plaza

Le but de cette proposition de loi est de rendre les maisons mères responsables des pratiques de leurs sous traitants. C'est le problème qu'avait illustré le Rana Plaza. Les entreprises donneuses d'ordre, beaucoup de marques occidentales, ne pouvaient être jugées en rien responsables, car ce sont leurs sous-traitant Bangladais qui avaient failli à leur devoir de sécurité.

L'idée de la proposition de loi, "devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre" est de les rendre responsable juridiquement.

Elle imposera aux entreprises françaises de plus de 5000 salariés, et aux entreprises qui opèrent en France de plus de 10 000 salariés, soit environ 150 entreprises au total selon les estimations, la mise en place d'un plan de vigilance pour prévenir les atteintes aux droits humains et les dommages environnementaux dans l’ensemble de leur chaîne de production.

  • cartographie des risques
  • procédure d'évaluation régulière des filiales, sous traitant et fournisseurs,
  • action adaptée pour réduire les risques
  • mécanisme d'alerte

Les éléments de ce plan de vigilance sont même énumérés dans la dernière version de la loi, ce qui évitera que les décrets d'application n'atténuent sa portée. Les ONG applaudissent des deux mains, et les cabinets d'avocats et de lobbying beaucoup moins, comme l'illustre cette note écrite par un cabinet d'avocat qui expliquait en juin dernier l'importance des décrets d'applications.

Les termes de la proposition de loi sont assez génériques et le contenu du plan reste flou. Le décret d’application sera fondamental, en ce qu’il précisera les modalités de présentation et d’application du plan, les notions employées ainsi que les conditions du suivi de sa mise en oeuvre effective. Les formulations retenues dans le décret vont conditionner l’applicabilité du texte et les contraintes pesant sur les entreprises. S’il met en place des conditions très spécifiques, il pourra réduire significativement son incidence pour les entreprises visées.

Rien à voir avec la RSE

Les rapports sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, que l'on nomme RSE et qui sont annexés aux rapports annuels, n'engagent pas à grand chose pour le moment. On reste dans le règne de la soft law, l'auto régulation, les défaillances ne sont pas sanctionnées.

Avec cette proposition de loi, l'obligation de vigilance est assortie d'une amende si elle n'est pas respectée. Les victimes ou toute personne ayant un intérêt à agir pourront saisir un juge.

C'est une vraie avancée, même si c'est loin d'être parfait. Selon les représentants patronaux, la France se tire une balle dans le pied avec ce genre de mesure.

Faire valoir les droits humains et environnementaux est une atteinte à la compétitivité de la France, c'est sûr.

Mais les entreprises françaises ne sont pas les seules concernées, toute entreprise étrangère de plus de 10 000 salariés opérant sur le sol français sera soumise à la même obligation de vigilance. H&M va-t-il fermer tous ses magasins en France à cause de cette mesure? Sans doute pas, mais c'est vrai qu'une coordination mondiale est indispensable sur le sujet.

Depuis le drame du Rana Plazza, il y a maintenant une attention plus forte sur ce sujet. Le CCFD a publié ici une infographie qui permet de voir comment le sujet progresse dans l'Union Européenne.

L'ONU élabore aussi en ce moment une résolution portée par l'Afrique du Sud et l'Equateur, qui a pour but de rendre les entreprises " accountable", en élaborant un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme.

Ici en France lors du débat qui aura lieu cet après midi à l'Assemblée Nationale, le gouvernement présentera sans doute la France comme le petit cheval blanc de la chanson de Brassens: les autres pays du monde "tous derrière tous derrière", et la France devant.

Sauf que sauf que, lors du vote de cette résolution à l'ONU, la France a voté contre tout comme l'Allemagne, l'Autriche, l'Estonie, les États-Unis d’Amérique, l'ex-République yougoslave de Macédoine, l'Irlande, l'Italie, le Japon, le Monténégro, la République de Corée, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

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