Raphaël Glucksmann enjoint l’Europe de bannir les produits fabriqués par «les esclaves ouïghours»

L’essayiste s’est exprimé jeudi à Paris lors d’une conférence sur le «travail forcé des Ouïghours dans l’industrie mondialisée de l’habillement».

 Raphaël Glucksmann déplore « l’impuissance volontaire » de l’Union européenne dans son « refus d’entrer dans un rapport de force » avec la Chine.
Raphaël Glucksmann déplore « l’impuissance volontaire » de l’Union européenne dans son « refus d’entrer dans un rapport de force » avec la Chine. LP/Jean-Baptiste Quentin

    Le message est clair. « Il faut que l'Union européenne puisse adopter des lois obligeant la Chine à fermer les camps de concentration dans la région ouïghoure », a martelé, la gorge nouée, Dilnur Reyhan, présidente de l'Institut Ouïghour d'Europe. C'était ce jeudi, sous les verrières de la Maison des Métallos (Paris XI), pendant une conférence sur le « travail forcé des Ouïghours dans l'industrie mondialisée de l'habillement ». Organisée par le collectif Éthique sur l'étiquette, qui milite pour le respect des droits humains au travail dans le monde, elle s'est tenue en présence de Raphaël Glucksmann.

    L'eurodéputé alerte régulièrement sur la situation des Ouïghours, un peuple turcophone à majorité musulmane installé au Xinjiang, dans l'ouest de la Chine, et violemment réprimé par Pékin.

    La « nécessité » d'une directive européenne sur la responsabilité juridique des multinationales sous-traitant à des firmes ayant recours au travail forcé a été mise en avant. Soit « responsabiliser les donneurs d'ordre sur l'ensemble de la chaîne de valeur », précise Nayla Ajaltouni, coordinatrice d'Éthique sur l'étiquette. A l'aune du drame que subit la minorité ethnique.

    83 multinationales pointées du doigt

    En plus de l'enfermement massif des Ouïghours - entre 1 et 3 millions sur une population de 11 millions - dans des camps de « rééducation » pour lutter contre le séparatisme, dixit le pouvoir chinois, s'ajoute une « réduction en esclavage » des internés, dénonce le député européen. Publié en mars par le think tank ASPI (Australian Strategic Policy Institute), un rapport intitulé « Ouïghours à vendre » documente cette terrible pratique.

    Entre 2017 et 2019, plus de 80 000 Ouïghours ont été transférés dans des usines partout à travers la Chine. Pas moins de 83 multinationales, telles que Nike, Zara, Uniqlo, Apple, BMW, pour n'en citer que quelques-unes, sont pointées du doigt pour sous-traitance, directe ou indirecte, avec 27 usines qui usent de conditions de travail sous contrainte.

    « Ironiquement, le seul pays qui prend des mesures réelles, ce sont les États-Unis de Trump », regrette la sociologue Dilnur Reyhan. En juillet, l'administration Trump a infligé des sanctions à l'encontre des officiels chinois accusés de violations des droits de l'homme au Xinjiang. Puis récemment, les représentants américains ont adopté un projet de loi visant à bloquer l'importation de biens originaires de la région semi-autonome chinoise.

    « L'Europe est un nain politique, seulement parce qu'elle le décide »

    Pour Raphaël Glucksmann, répondre à ce « crime contre l'humanité » perpétré par le Parti communiste chinois passe effectivement par « le bannissement des produits suspectés d'être fabriqués par les esclaves ouïghours ». Malgré l'interdépendance économico-diplomatique aujourd'hui entre le Vieux Continent et l'Empire du milieu, il croit de telles actions possibles à mettre en œuvre. « Premier marché du monde, l'Europe demeure une grande puissance commerciale et possède les capacités d'agir, assure le député européen. Mais l'Europe est un nain politique, seulement parce qu'elle le décide ». L'essayiste déplore « l'impuissance volontaire » de l'Union européenne dans son « refus d'entrer dans un rapport de force » avec la Chine.

    Alors que 39 pays occidentaux ont protesté mardi à l'ONU contre la politique répressive que la Chine mène au Xinjiang, et que 53 autres pays (dont l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis) ont, eux, soutenu Pékin, Raphaël Glucksmann continue de s'alarmer sur « le silence assourdissant » autour des Ouïghours. Le même jour en France, Jean-Yves Le Drian, devant l'Assemblée nationale, a demandé aux « entreprises françaises et européennes » de se montrer « vigilantes sur le respect des droits de l'Homme », en vertu de la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des firmes françaises - que Glucksmann veut transposer à l'échelle européenne. Le ministre des Affaires étrangères a également réitéré son « indignation » concernant les camps d'enfermement.

    Ce n'est qu'en juillet dernier, après la parution d'un témoignage dans Libération sur les stérilisations forcées des femmes ouïghoures, que l'exécutif a fermement condamné les exactions au Xinjiang. Depuis, Emmanuel Macron s'est exprimé pour la première fois début septembre, qualifiant le traitement en Chine de cette minorité ethnique de « pratiques inacceptables ». « Pendant que des millions (de Ouïghours) sont en danger, on se contente de la parole d'un chef d'État qui ne dure qu'une seconde », lâche Dilnur Rehyan, amère. Et d'espérer : « On en parle pourtant depuis plus de deux ans, il était temps. Ce n'est jamais trop tard mais là, il y a urgence! »