Menu
Libération
Social

Bangladesh : cinq ans après le drame du Rana Plaza, l'heure du bilan

L’immeuble s’est effondré en 2013, provoquant la mort de 1 138 ouvriers et faisant plus de 2 000 blessés parmi les 5 000 personnes des entreprises textiles qui y travaillaient.
par Maud Margenat
publié le 24 avril 2018 à 16h05

Le 24 avril 2013 s'effondrait à Savar, dans la banlieue de Dacca, au Bangladesh, le Rana Plaza, un immeuble de 8 étages abritant 6 usines textiles provoquant la mort de 1 138 ouvriers et blessant plus de 2 000 parmi les quelque 5 000 qui y étaient employés. C'est le plus grave accident survenu dans l'industrie du textile. Gap, Benetton, C&A, Mango et autres distributeurs occidentaux, qui y faisaient fabriquer leurs produits à moindre coût par une main-d'œuvre sous-payée, furent alors pointées du doigt. Le collectif Éthique sur l'étiquette, branche française du mouvement international Clean Clothes Campaign, et qui œuvre notamment à la défense des droits humains au travail, publie un dossier reprenant les avancées et les désillusions, 5 ans après la catastrophe.

Suite à l’écroulement de bâtiment qui faisait office de fabrique, les organisations syndicales et de défense des droits humains locaux et internationaux, dont Éthique sur l’étiquette fait partie, se sont mobilisées pour que les pouvoirs publics et les multinationales assument leurs responsabilités sur deux points urgents : l’indemnisation des victimes et la sécurisation de leurs usines locales. En réaction à l’émotion populaire internationale, les marques, distributeurs, fabricants et gouvernements ont alors multiplié les promesses qu’un tel drame ne se reproduirait jamais. Dans les mois qui ont suivi la catastrophe, des mesures ont été prises ou annoncées par certaines visant à mieux identifier leur chaîne d’approvisionnement et dans l’espoir de redorer leur image.

Mais force est de constater qu'aucune n'a vraiment fait évoluer son modèle économique. Un rapport récent indique que la pression sur les coûts et les délais de production n'a fait qu'empirer. Ainsi, les prix imposés aux fournisseurs sont encore plus bas que ceux pratiqués à l'époque du Rana Plaza. La «Fast fashion», mode jetable à bas prix, est responsable en grande partie de cette détérioration. Les engagements «éthiques» des marques demeurent une opération de communication destinée à rassurer leurs consommateurs, tandis que leurs mauvaises pratiques perdurent. Quelques progrès ont été réalisés, mais selon nombre de rapports l'heure est plus au greenwashing qu'à un vrai changement.

Au Bangladesh

Le gouvernement bangladais avait été amené sous la pression internationale à amender en juillet 2013 sa législation du travail, à travers le Bangladesh Labour Law (Amendment) bill, permettant des avancées certaines quelques mois après le drame, qui ne se traduisent plus dans les faits aujourd'hui. Les travailleurs avaient obtenu une augmentation conséquente du salaire minimum sectoriel de 70%, passant de 28 à 50 euros mensuels en juillet 2013. Quatre ans après, malgré une nouvelle augmentation à 60 euros mensuels, ils restent les travailleurs du textile les moins bien payés du monde. L'abaissement du seuil du nombre d'ouvriers nécessaires à la création d'un syndicat et la suppression du consentement préalable du patron de l'usine avaient permis la création de 400 syndicats dans les 5 000 usines que compte le pays, mais le gouvernement n'a pas tardé à reprendre ses actions de répression des mouvements sociaux, et de travailleurs. Le harcèlement des militants syndicaux, les entraves à la liberté d'organisation et à la négociation collective demeurent des pratiques courantes au sein des usines bangladaises de confection.

De décembre 2016 à avril 2017, des milliers de travailleurs qui avaient protesté pour une augmentation de salaires ainsi que les syndicats qui les défendent ont fait l’objet d’une sévère répression de la part des autorités bangladaises, alliées à la fédération patronale de l’habillement. En mesure de rétorsion, 59 usines ont été fermées, conduisant au licenciement de 1 600 ouvriers. Des plaintes non fondées ont été déposées par les autorités contre plusieurs centaines d’ouvriers et au moins 34 travailleurs ou leaders syndicaux avaient été arrêtés et détenus pendant plusieurs semaines sans motif légal.

Les évènements de décembre 2016 avaient eu lieu quatre ans après la signature du «Sustainability Compact» par le Bangladesh. Conclu dans le cadre du «système préférentiel généralisé» de l’Union Européenne, cet accord octroie au pays des avantages tarifaires spéciaux pour l’ensemble des produits (à l’exception des armes) exportés au sein du marché communautaire. En échange, le gouvernement bangladais s’est engagé à respecter les conventions fondamentales de l’OIT. Or les violations des droits humains au travail s’intensifient au Bangladesh, sans réaction de l’Union européenne.

Sécurisation des usines

Au Bangladesh, c'est sur le plan de la sécurité que les progrès ont été les plus significatifs. En réponse aux enjeux chroniques d'insécurité des usines au Bangladesh, qui ont conduit à l'effondrement du Rana Plaza après de nombreux précédents (comme Tazreen, où 112 ouvrières ont péri en décembre 2012 dans un incendie), le collectif Éthique sur l'étiquette, la Clean Clothes Campaign et les syndicats bangladais ont proposé dès 2012 aux donneurs d'ordres internationaux la signature d'un accord contraignant visant à sécuriser les usines de confection dans le pays : l'accord pour la sécurité incendie et la sécurité des usines. Dédaigné par les marques et distributeurs internationaux de l'habillement dans les mois précédant le drame, l'effondrement du Rana Plaza les a conduits à répondre aux injonctions de la société civile et à le signer. Sous la pression publique, H&M, leader de la fast fashion et plus grand acheteur d'habillement au Bangladesh, devient le 14 mai 2013 la première multinationale signataire de l'accord. Elles sont 220 à l'avoir signé depuis.

En France

En février 2017 a été adopté en France la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneurs d'ordre, validée par le Conseil constitutionnel saisi par des députés et sénateurs les Républicains et plusieurs organisations patronales. Cette victoire historique ponctue cinq années de combat pour faire baisser l'impunité dont bénéficient les multinationales. Le texte crée une obligation de vigilance pour les grandes multinationales françaises ou présentes en France. Il exige qu'elles publient et mettent en œuvre un plan visant à prévenir les atteintes aux droits humains et à l'environnement causées par les activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l'étranger. Un juge français pourra être saisi en cas de non-respect de cette loi et astreindre l'entreprise à s'y soumettre. Cette loi constitue une première au niveau mondial.

En Europe

En juin 2014, le Conseil des droits de l'homme, à l'initiative de l'Equateur et de l'Afrique du Sud, a permis la création d'un groupe de travail onusien pour l'élaboration d'un «traité international sur le respect des droits humains par les multinationales». La dernière session, qui s'est déroulée en octobre à Genève, a discuté des éléments de contenu d'un tel traité, en s'inspirant largement de la loi française sur le devoir de vigilance. Plus de 900 organisations de la société civile à travers le monde, regroupées au sein de la Treaty Alliance, soutiennent ce processus. La prochaine session de négociation aura lieu en octobre à Genève.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique